Les décors de gypserie illustrent la rencontre des modèles académiques parisiens avec le savoir-faire technique et la créativité des gypsiers provençaux.
Ils étaient en vogue dans les châteaux et hôtels particuliers à Aix-en-Provence, en Avignon et à Montpellier au milieu du 18e siècle. La mode est au raffinement, à la fantaisie et à l’élégance. Les lignes sont souples et les formes chantournées. Ce style Louis XV est aussi appelé « rocaille » car il rappelle les roches et coquillages naturels. Le plâtre était appliqué à la main, de haut en bas, d’après un tracé réalisé directement sur le mur au fusain, à la sanguine ou à l’aide d’une pointe. Le travail exigeait précision et savoir-faire, formes et reliefs devaient être justes avant que le gypse sèche. Une fois le plâtre durci, le motif était achevé à l’aide d’outils : gouges, fermoirs, crochets, griffes…
À Suze-la-Rousse, des décors anciens du château subsistent deux peintures murales du 19e siècle, repeintes sur des originaux du 16e siècle et des décors de plâtre des 17e et 18e siècles. Ce sont les seuls témoins des programmes décoratifs modernes de la demeure.
Au 17e siècle, le château connaît de riches aménagements dont un cabinet octogonal au décor étonnant. Aménagé dans une tour, ce dernier manifeste la volonté de moderniser le décor tout en affirmant l’identité seigneuriale du lieu. Les ornements en fort relief se détachent sur des fonds de couleur rose et verte. Associé aux éléments héraldiques (chapeau cardinalice, chiffre du commanditaire), le répertoire naturaliste, largement répandu dans le décor français depuis le Moyen Âge, est une promesse symbolique de fertilité et d’abondance pour la maison et ses occupants.
Au milieu du 18e siècle, les distributions intérieures du château sont remaniées, à l’image de celles des grandes demeures aristocratiques de l’époque. A la deuxième antichambre de l’appartement « à la française », née au siècle précédent sous l’influence du modèle versaillais, est désormais assignée la fonction de salle à manger. La nouvelle pièce se situe ainsi à l’étage noble, au 1er étage.
Soucieux du prestige de sa maison, le marquis de Suze modernise par un décor de gypserie de style rocaille les deux pièces principales de réception : une grande salle dans l’aile sud et son pendant, la salle à manger, au centre de l’aile nord. Les motifs y évoquent les plaisirs que procure la vie à la campagne au rythme des saisons. Ils attestent du changement de statut de la demeure qui, tout en restant un symbole de la puissance seigneuriale, devient un lieu de villégiature.
Le décor de la salle à manger date des années 1745-1750. L’ornementation rocaille s’y déroule suivant un remarquable jeu de courbes et de contre-courbes. Le répertoire est essentiellement naturaliste : enroulements de feuillages, chutes de fleurs, guirlandes, bouquets, motifs rocaille et coquilles en abondance. Ce naturalisme offre des effets pittoresques pleins de délicatesse et de fantaisie. Les quatre saisons et les quatre éléments y sont représentés avec une ingénieuse fantaisie et un exceptionnel talent de sculpture.
Le décor de la grande salle date des années 1760. Les cartouches inscrivent des motifs relatifs à la chasse, la pêche, la musique pastorale et aux fleurs omniprésentes. Les thèmes d’inspiration champêtre sont en effet courants dans les arts décoratifs du 18e siècle, particulièrement en Provence.
Une grande campagne de restauration des décors a récemment permis de redécouvrir leur singularité et leur exceptionnelle qualité. Les décors du château de Suze-la-Rousse doivent être désormais considérés comme une véritable œuvre d’art qui résonne étroitement avec la beauté minérale du site et de son environnement végétal.